Raid à ski, Valpelline – Avril 2022

Publié le 26 juin 2022 par Éléna B.

Mardi 5 avril, au sortir d’un bel hiver ensoleillé et sec. Sept Gumistes interconnectés, bien au chaud à la maison. On analyse, on résume, on se prépare en visio.

Départ prévu jeudi 7 avril. Tiens, justement pile au moment où la météo décide de « virer de bord ».

Nous avons presque perdu d’habitude d’analyser les bulletins nivologiques avec cet hiver clément, mais on pressent qu’il va falloir s’y remettre, au vu des quantités de neige et de vent annoncés. La vallée d’Aoste, sous le vent de la chaine montagneuse du Mont Blanc, semblerait un peu épargnée. On y va ? On y va.

Les raids à ski sont souvent une belle découverte des conditions difficiles de neige ou de montagne et de belles expériences humaines, parfois aussi de passages techniques qui éprouvent la cohésion de groupe. On y est…

Merci à Audrey pour son beau résumé et à Bertrand pour son descriptif succinct du passage-clé du Col de la Division. Et aux autres protagonistes Anne Laure, Pascal, Jacques, Daniel, Elena.

A vous lecteurs !

 

Le résumé du raid à ski, par Audrey :

Jour 1 : D+ 120m, D- 0m, 5,6km, D’Annecy au refuge de Prarayer.

Notre joyeux groupe composé de : Bertrand, Eléna, Daniel, Pascal, Jacques, Anne Laure et Audrey, prend le départ mercredi matin vers la vallée de Valpelline. Douce entrée dans les vacances, nous nous arrêtons déjeuner en terrasse à Aoste où un air de printemps nous détournerait presque de notre objectif. La Dolce Via italienne est là.

Arrivé au parking, près du barrage de Place-Moulin. Nous sommes bien vite rattrapés par l’hiver, avec la brume et de fins flocons de neiges. Nous longeons le lac pour arriver avec les skis sur le dos au refuge de Prarayer. La méteo n’est pas très engageante. Le mauvais temps est annoncé pour les 48 prochaines heures. Nous décidons tout de même de monter au refuge de Nacamuli le lendemain quitte à y rester un jour de plus, mais de nous laisser la chance de faire l’itinéraire imaginé.

Jour 2 : D+ 710m, D- 0m, 7,8km. Du refuge de Prarayer au refuge de Nacamuli.

Lorsque nous nous réveillons, tout a été recouvert de neige. La montée se fait dans une ambiance de jour blanc. Nous devons tout de même faire attention aux accumulations de neige de la nuit. Premier petit raidillon : nous sortons notre machine KASSBORHER, qui nous déneige ça en en rien de temps. Nous avons choisi la version KASSBOHRER sans chenilles mais avec 2 jambes, alias Pascal. Pratique et autoportant.

Attention aux plaques à vent dans la pente finale sous le refuge. Un bruit sourd nous le rappelle en haut de la dernière pente que nous contournons. Nous sommes accueillis chaleureusement par le gardien Georgio. Nous découvrons avec plaisir le délice des repas italiens : Soupe, pasta, viande, dessert, et bien sur un petit genepi du coin pour bien finir la journée.

Jour 3 : tempête à Nacamuli

C’est l’enfer sur terre. Le vent souffle à 80km/h, il fait -50 degrés en ressenti dehors (si vous y aviez été, je vous jure que vous diriez pareil). Au réveil l’eau a gelé dans les gourdes dans le dortoir. Aller aux toilettes est une épreuve de survie. Nous sommes coupés du monde. Heureusement Georgio nous sert un super repas le midi pour nous réchauffer. Pour s’occuper il y a deux équipes : les joueurs de cartes endiablés et les lecteurs. (note : le poids d’un livre peut valoir le coup en raid… la prochaine fois j’en prendrai un). Nous faisons aussi quelques exercices de mouflages. Conclusion de l’exercice : n’emmenez pas votre tabouret en montagne, ça casse, préférez l’ancrage au piolet au avec un ski, bien plus solides.

Jour 4 : D+ 850m, D- 850m, 8,5km. Col de l’Eveque.

Le soleil est enfin là, les nuages sont partis ! Le vent est encore présent mais a diminué, nous tentons une sortie. Il va falloir ouvrir l’œil, après la neige te le vent tempétueux de la veille. Nous décidons de décaler d’une journée la traversée vers la cabane Bertol. Nous avons les skis aux dents et nous allons au col de l’évêque en passant par le col Colon. Arrivés en haut, un sérac se brise au loin  et déclenche une belle coulée de neige.

A notre retour nous passons de bon moments avec Georgio qui nous parle de l’Italie, certains reprennent les parties de crapette et de belotes endiablées, d’autres leurs lectures.

La tension est à son comble quand Georgio s’adresse soudainement à Elena : « TU SEI UN TERREMOTO ». Stupeur et tremblement dans l’assistance : allons-nous vers l’incident diplomatique ? Mais Jacques, qui comprend l’italien, éclate de rire puis nous traduit le sens de terremoto : tremblement de terre. Franche rigolade. On se dit que cela va rester.

Lorsque nous quitterons le refuge, Giorgio remettra discrètement à Bertrand une feuille A4 sur laquelle il a inscrit et signé au marqueur rouge la sentence désormais célèbre (mais ça, nous le saurons que plus tard).

Jour 5 : D+ 1100m , D- 680m, 14,5km. Du refuge de Nacamuli à la cabane Bertol.

Nous quittons le cœur serré Nacamuli et son gardien. La météo est enfin favorable. Nous prenons la direction du refuge de Bertol. Nous passons le col Colon puis nous traversons une vallée encadrée par de magnifiques glaciers. L’espace s’ouvre peu à peu, l’ambiance haute montagne se fait sentir. Arrivée au pied d’une montée légèrement exposée  par la présence  de rochers et une pente légèrement abrupte, le groupe met les couteaux. Malheureusement je m’aperçois qu’une des fixations de couteaux a cassé depuis la veille. Nous n’avions pas perçu immédiatement l’exposition de la montée, le choix de mettre les crampons fut le bon.

La dernière montée sous un soleil  brûlant, mais dans une belle neige poudreuse, nous mène au pied du rocher où est perchée la cabane, à 3300m d’altitude. Nous laissons les skis au pied du rocher pour gravir les échelles. Arrivée en haut la vue à 360 degrés est à couper le souffle. Nos efforts sont récompensés, par  une salle de vie chauffée, une bière désaltérante, un repas gourmand, un accueil suisse comme il se doit au grand bonheur de Pascal. Le rougeoiement du coucher de soleil sur les montagnes est magnifique.

Jour 6 : D+ 570m, D- 1050m, 10,9km. De la cabane Bertol au refuge d’Aosta en passant par le col de la division

Départ à 7 heures du matin de Bertol avec le lever du soleil (on ne rigole pas avec l’horaire en suisse, à 7h, faut être dehors). Après la descente des échelles un peu vertigineuse, très appréciée par Bertrand et d’autres, nous partons vers le sommet de la tête blanche à 3700m. Là-haut nous admirons la vue sur le mont Cervin et la dent d’Hérens. Nous observons aussi la suite de notre itinéraire et les crevasses bien visibles sur le glacier en contre-bas. Cela me donne quelques émotions. Nous continuons notre chemin par le col de Valpelline et nous contournons par la moraine droite le glacier de Tsa de Tsan ce qui nous évite de nous encorder, au grand regret d’Anne Laure.

Nous arrivons au fameux passage technique du raid : le col de la division. Cela ressemble plus à une falaise qu’à un col. Skis sur le sac, baudrier en place,  Bertrand doit gérer l’organisation. Les plus aguerris descendent en se tenant aux chaines fixes. Pour d’autres une moulinette est proposée en sécurité. Cela me rassure bien.

Arrivés tous en bas, nous rechaussons les skis. Il est déjà tard, la neige transforme. Il reste une pente un peu raide à descendre. Malgré nos inquiétudes, la neige se révèle douce, de la vraie moquette pour les connaisseurs.

Nous arrivons enfin au refuge, tout autour de nous les glaciers et les séracs nous offrent un paysage merveilleux. Face à nous la vallée qui nous mènera vers le retour.

À peine arrivés, Diego le gardien nous apporte le génépi de bienvenu ! Nous pique niquons sous le soleil, le repos est bien mérité. Avec ce beau temps nous en profitons pour nous débarbouiller dans la neige, moment très drôle et agréable !

Mais les émotions ne s’arrêtent pas là. Au loin nous apercevons un groupe de skieurs au-dessus du glacier. Ils s’engagent  sous les séracs. Dessous, les falaises et les roches ne laissent pas le droit à l’erreur. Soulagés, nous les voyons arriver au refuge accompagnés de leur guide, Christophe Profit ! Ils sont chargés d’adrénaline et un brin « séraqués », difficile de continuer notre partie de coinche (après la belote, on est passés au niveau supérieur !). Le gardien offre généreusement une bouteille de Ricard pour rassembler les deux groupes. La journée se finit dans la bonne humeur et l’apéro et la chaleur d’un repas attendu.

 

Jour 7 : D+ 90m, D- 1100m, 17km. Du refuge d’Aosta au retour à la voiture.

C’est le dernier jour. Nous partons le cœur serré du refuge d’Aosta. Nous descendons tranquillement dans la vallée, dans l’ancienne moraine.  Petit à petit nous voyons les arbres réapparaître et la neige diminuer. Nous retrouvons la douceur du printemps.

Nous nous arrêtons au refuge Prarayer où nous avions laissé les baskets pour la dernière partie à pied. Nous en profitons pour un dernier repas italien, avec la charcuterie et les fromages locaux. Bertrand organise une petite cérémonie de remise du diplôme « Terremoto » à Elena pour la remercier de l’initiative, de l’organisation, du guidage et de l’énergie positive qu’elle a su insuffler à cette belle aventure.

Le père du gardien accepte à nouveau de descendre le matériel et quelques personnes en voiture jusqu’au parking. Son aide est bienvenue.

Sur le chemin du retour nous profiterons de nous arrêter à une ferme pour ramener de la fontina, ce bon fromage italien, rien que pour retrouver le goût de la fabuleuse polenta de Giorgio !

Audrey

Le passage du col de la Division, par Bertrand :

Après avoir contourné par sa rive droite une zone crevassée du glacier de Tsa de Tsan nous traversons ce glacier en diagonale pour rejoindre son bord gauche par lequel se trouve l’échapatoire : le col de la division. Nous avons eu une information de Gaby et Stéphanie B qui nous ont indiqué que le passage était sec mais c’était deux semaines plus tôt et depuis la neige est enfin tombée. Et comme c’est plein sud et qu’il y a eu beaucoup de vent, bien malin est celui qui pourrait deviner l’état de l’art.

Sur un plan tactique c’est le seul moment du raid où je souhaite être sur zone un peu avant le reste du groupe de façon à avoir quelques instants d’observation. Premiers constats : c’est quasi tout sec (les crampons resteront dans le sac) et bien équipé de chaînes. Il n’y a personne dans les parages et on pourra donc cheminer à notre convenance. La météo reste belle. Bref, les conditions sont favorables.

Etape suivante : il est probable que tout le monde dans le groupe ne sente pas le passage sans assurance ; en poser une. Il y a d’abord une longueur de chaîne horizontale et je la parcoure – longé –  jusqu’à la première longueur verticale. Enfin presque car la fin de la première longueur et le début de la seconde sont sous la neige sur quelques mètres ; brève hésitation avant de décider de ne pas faire dans la finesse ; dans 2 min tout le monde sera sur zone et il n’est pas temps de tergiverser : je donne des grands coups de latte avec mon pied droit pour casser la croûte de neige, puis je tire comme un gros bourrin sur chacune des 2 chaînes ; la philosophie en montagne, des fois c’est bien mais des fois c’est pas le moment. Ca n’était pas le moment. Les chaînes sont dégagées. Les chaînes et les points me donnent une belle confiance dans les ancrages qui serviront de relais. Je suis toujours longé et donc assuré ; je fixe un mousqueton à vis sur une chaîne et je m’apprête à déclencher les opérations lorsque mon neurone me titille : l’alpinisme, c’est comme le bricolage, sur des sujets fort simples on peut se trouver emmerdés à se gâcher le moment. Ma longe est trop courte (un comble pour une « longe » !). Chaque fois qu’une personne du groupe va vouloir passer on va galérer. Je sors une sangle « double buste » afin de pouvoir me dégager suffisamment de la paroi à chaque passage de mes compagnons.

Je suis paré. Mais il reste encore un sujet : l’ordre de passage. Elena est à fond pour ouvrir le passage: « feu force » comme ils disaient au 27ième régiment d’infanterie marine ! Ensuite je vais bien sûr garder en arrière ligne notre joker de luxe, Pascal, qui a la seconde corde dans son sac. A la suite d’Elena je propose un binôme Audrey / Dany, avec Dany en poisson pilote ou disons plutôt ici en bouquetin pilote. Par ailleurs, la recette de la moulinette sur demi-cabestan fait une fois de plus des merveilles. Mais la corde ne fait que 30 mètres. Or la suite mérite aussi une protection ; c’est le moment d’user du Joker : nous lançons la réserve opérationnelle et Pascal descend prestement jusqu’à Audrey afin de poser une seconde moulinette. Pendant ce temps Anne-Laure et Jacques – un autre bouquetin pilote – démarrent la descente. Pascal assure la suite de l’épisode. Quant à moi je ne sers plus à rien et il est temps de me lancer à mon tour dans la désescalade : le fait est qu’avec un sac de 13 kg PLUS les skis c’est particulier mais on s’y fait !

A titre personnel ce passage du col de la division a été un moment particulièrement fort. S’il y a des moments où on se « réalise » alors celui-là en était un pour moi. Appréhender le réel, être bien présent au monde et ne pas se raconter d’histoire. Observer, analyser, sentir (y compris et avant tout les équipiers), décider. L’itinéraire est-il raisonnablement envisageable ? Si oui comment ? Dans quel ordre de passage pour notre troupe ?

Je ne sais pas comment chacun.e a vécu ce moment. De mon côté c’était agréable d’avoir une (petite) marge technique, physique et mentale pour gérer et même profiter de l’instant. Les séquences « alpines » ne sont plus si fréquentes dans ma pratique de la montagne et c’était gratifiant de pouvoir appliquer des apprentissages qui commencent certes à dater mais qui sont encore bien présents. Je me souviens m’être surpris à sourire accroché au relais en haut.

Laurence, une amie à qui je relatais notre expédition et le passage du col de la division évoquait la notion de charge mentale et je crois que cela complète la description de ce que j’ai vécu : partielle insomnie la veille à cogiter sur les scénarios possibles, la tension au moment d’aborder le passage et le sentiment d’accomplissement et de légèreté une fois que tout le monde était posé au refuge d’Aosta.

Toujours dans la rubrique des retours amicaux j’ai adoré cette phrase qu’Alex me rapportait à l’évocation de mon insomnie: « l’action seule peut mettre fin au doute de la nuit ». Si j’avais connu plus tôt ce propos lumineux – lumineux comme l’aube – je crois que certaines de mes insomnies auraient été plus douces et furtives.

L’équipe était au top, complémentaire, appliquée et sereine. Pour reprendre le terme d’un de nos amiraux je crois que tout le monde a dû et a su « s’impliquer » !

Cela rejoint une vérité de l’alpinisme : un bon second est aussi important qu’un bon premier de cordée.

Bertrand

 

Catégorie: Actus, Ski de randonnée

5 commentaires

  1. KASSBOHRER ! Avec la photo qui va bien; énorme !
    Par ailleurs bravo Audrey pour le compte rendu. Tu vois, ce n’était pas une montagne… enfin si justement c’était plein de montagnes cette affaire. Et du vent aussi, c’est sûr ! Une belle équipe pour de beaux souvenirs.

  2. Super ce CR. Et super raid aussi! Col de la division, vous avez pris ça au pied de la lettre. 2 groupes de 2, 3 groupes de 1… heureusement que c’était pas le col du glandon, vous vous seriez mis de nuit!Une mention spéciale à Audrey, belles ténacité et endurance pour la rédaction. Des bonnes qualités pour une skieuse alpiniste!

  3. Ca été long à venir mais c’est du bon boulot !Merci aux rédactrices /rédacteurs ! Un chouette moment avec des chouettes gens dans un chouette coin !!!
    Petit regret : la séquence « WC » Nacamulli pas assez développée à mon goût 🙂
    Petite remarque tech. :dommage que l’on ne puisse pas visionner les photos en continu …9

  4. Et bien le voilà le petit dernier !
    Finalement ça aura été le point d’ orgue de la saison ce raid, la fin est un peu partie en eau de boudin cette année…
    C’ était bien…. pour le col de la Division je me disais tout le long c’ est marrant ça me rappelle vraiment quelque chose mais c’ est impossible vu que je ne l’ ai jamais fait ?J ‘étais persuadé qu’ a mon premier passage dans le coin on avait laissé tomber pour cause de météo défavorable, il a fallu qu’ un participant de l’ époque me rappelle que j’ étais bien là et qu’ on l’ avait fait, bien enneigé, pour faire la Tête de Valpelline en aller retour, ma mémoire à vraiment des trous :^(

  5. @ Daniel :
    Remarque technique corrigée !
    Séquence WC Nacamuli : si tu as une photo pour illustrer… Je t’en prie, complète… 🙂
    @ Jacques : RDV dans 20 ans, on reparlera de notre épopée 2022, je suis sûre que tu ne l’oublieras pas celle-là !

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